Aujourd’hui, le jeu vidéo est devenu un véritable objet culturel. Pour preuve, l’essor du jeu vidéo s’est encore renforcé, avec 53 % de joueurs pendant le confinement, contre 44 % en 2018. C’est l’occasion pour LexWeb de recevoir un spécialiste du jeu vidéo et du droit en la personne de Monsieur Geoffray Brunaux maître de conférences à la faculté de Reims. Le Professeur Brunaux avait déjà eu l’occasion d’intervenir sur le site pour nous présenter son livre « Le jeu vidéo, un objet juridique identifié ». Aujourd’hui, j’ai le plaisir de le recevoir de nouveau pour la sortie de son ouvrage « les contentieux du jeu vidéo ». C’est une chance de recevoir cet expert qui a eu la gentillesse de répondre aux questions de LexWeb.
1. Bonjour Monsieur Brunaux. Pourquoi aujourd’hui plus qu’hier le jeu vidéo soulève des questions juridiques ?
Bonjour et merci de m’accorder quelques lignes sur LexWeb pour échanger sur les questions juridiques du jeu vidéo.
Les questionnements juridiques relatifs au jeu vidéo sont longtemps restés confidentiels en ce sens que les contentieux portaient essentiellement sur des questions de propriété intellectuelle. Il était principalement question de la qualification juridique du jeu vidéo en tant qu’œuvre logicielle ou œuvre composite ou distributive et, incidemment, de la titularité des droits sur tout ou partie de la création vidéoludique.
Ces questions sont toujours d’actualité, mais prennent de nouvelles formes, comme la possibilité ou non pour des joueurs de modifier des jeux appartenant à un tiers sans son autorisation (modding). L’amélioration de la qualité visuelle des jeux vidéo et de leurs possibilités techniques ont également fait apparaître de nouveaux types de contentieux. Le droit à l’image est parfois invoqué quand un personnage virtuel représente une personne bien réelle (qui peut d’ailleurs arborer des tatouages, soulevant alors la question de la reproduction d’une œuvre protégée par le droit d’auteur) ou lui ressemble de très près dans son physique et son comportement. Il en va de même quant à la reproduction de véhicules dans un jeu. Par ailleurs, des questionnements sont apparus quant à la mise en place de certains dispositifs comme les loot boxes (ou coffres à butins) dont le mécanisme se rapproche des jeux de hasard.
2. Dans votre ouvrage, vous évoquez le métavers et le multivers du jeu vidéo. Pourriez-vous nous définir ces notions ?
Les termes de métavers et multivers sont très en vogue en ce moment du fait de leur utilisation dans l’industrie cinématographique pour évoquer des histoires parallèles d’un même personnage de fiction, mais aussi pour faire référence à des réseaux sociaux utilisant la technologie des casques de réalité virtuelle.
À ce jour, il n’en existe pas de définition juridique. Pour autant, il m’a semblé que ces termes permettent de représenter parfaitement la place particulière qu’occupe le jeu vidéo et la relation que ses créateurs et les joueurs entretiennent avec lui.
Une théorie, dite du « Magic Circle », avait été élaborée il y a maintenant quelques années pour évoquer l’idée selon laquelle le jeu vidéo est un espace clos dans lequel les règles sont fixées par le maître du jeu. En soi, par le passé, cela ne posait aucune difficulté dans la mesure où le joueur s’immergeait dans un univers virtuel dont il acceptait les règles et dont les seules conséquences restaient circonscrites au seul univers du jeu.
Il s’avère désormais que cet espace fermé du jeu vidéo, son métavers, n’est désormais plus aussi clos qu’il n’y paraît, parce qu’il entre en interaction avec d’autres univers que le sien. Nous trouvons d’abord les interactions directes avec les joueurs au sens où le jeu peut influencer leur propre comportement : addiction, exposition à des actes de violence. Nous trouvons ensuite une interaction avec d’autres univers de jeux qui vont alors s’entrechoquer : modding d’un jeu déjà existant aboutissant parfois à un nouveau jeu totalement distinct, contrefaçon, distribution de jeux par d’autres plateformes.
Vus depuis le métavers du jeu vidéo, ces nouveaux espaces constituent de nouveaux mondes qui lui sont étrangers et sur lesquels il exerce pourtant une influence, ce qui peut être qualifié de multivers.
3. Paradoxalement l’OMS recommandait de jouer aux jeux vidéo le temps de la crise sanitaire tout en reconnaissant l’addiction que ce média pouvait engendrer. Selon, vous le jeu vidéo peut-il nuire à la santé ou rendre violent ?
Le jeu vidéo a depuis longtemps été taxé de nombreux maux et notamment, comme vous l’évoquez, de rendre violent et maintenant de créer une addiction chez les joueurs.
Les études scientifiques en la matière sont souvent contradictoires. En effet, l’OMS a récemment reconnu le trouble du jeu vidéo, lorsque le jeu est pratiqué de façon excessive. Pour autant, d’un autre côté, le même organisme a recommandé de jouer aux jeux vidéo lors de la période de la crise sanitaire, certaines études allant même jusqu’à affirmer que les adolescents et jeunes adultes ont pu pallier l’absence de relations sociales impliquée par les confinements successifs grâce aux interactions que propose désormais ce medium.
Du seul point de vue juridique, la solution réside probablement dans un meilleur contrôle de l’utilisation du jeu vidéo. Ceci passerait par un accès à des jeux dont le contenu est adapté, ce qu’essaie déjà de faire la classification PEGI mentionnant l’âge du public visé et les scènes violentes, ordurières, etc. Les débats relatifs aux dispositifs de contrôle parental embarqués dans les technologies numériques de cette nature (smartphones, tablettes, ordinateurs, consoles de jeu, etc.) pourraient également contribuer à un meilleur contrôle du temps de jeu dont l’excès est souvent invoqué pour prouver l’existence d’une addiction.
4. Certains hommes politiques s’emparent du jeu vidéo comme Joe Biden. Peut-on parler de détournement du jeu vidéo à des fins politiques ?
Le jeu vidéo est par nature une œuvre ludique, donc destinée à la distraction. Ce n’est pas la première fois que des politiques utilisent le jeu vidéo à des fins politiques, certains allant même jusqu’à distribuer des jeux qui sont spécifiquement dédiés à la promotion de leur campagne.
Autant cette dernière démarche ne semble pas choquante dans la mesure où le public peut aisément se rendre compte de l’objectif poursuivi.
Autant celle consistant à utiliser un jeu d’ores et déjà existant pour y mener sa campagne est plus dérangeante dans le sens où le joueur, parfois jeune d’ailleurs, va être saisi et surpris par une campagne politique menée dans un univers virtuel dont le seul but est pourtant de le distraire et non de s’exposer à ce type de discours.
À défaut de décision de justice l’affirmant expressément, nous ne sommes pas légitimes à parler de détournement du jeu vidéo en l’état. Mais certains éditeurs l’ont ressenti comme tel, modifiant alors les conditions générales d’utilisation de leurs jeux pour y interdire toute promotion ou campagne politique.
5. Pouvez-vous nous dire si vous êtes vous-même un joueur et, si oui, quels sont les jeux auxquels vous jouez ?
Moins joueur qu’avant par manque de temps, mais toujours joueur malgré tout.
J’ai toujours adoré les jeux de versus fighting, le célébrissime Street Fighter 2 de Capcom ayant bercé mon enfance. Je ne compte plus les heures passées dessus.
Également, j’apprécie beaucoup les jeux d’aventure comme ceux de la saga The Legend of Zelda de Nintendo ainsi que les classiques Final Fantasy, dont l’épisode 7 du studio Square sorti sur la console Playstation de Sony m’a fait comprendre, par sa mise en scène, que le jeu vidéo venait d’entrer dans une nouvelle ère. Malheureusement, ces jeux sont très longs et nécessitent un temps que je n’ai plus. C’est pourquoi je me tourne essentiellement vers les versus fighting qui, en plus de pouvoir se jouer très rapidement et sur de brefs laps de temps, ont la vertu de défouler ! Et pour redescendre en pression après quelques combats, ma petite fille, qui commence à jouer aux jeux vidéo elle aussi, nous rappelle souvent, à sa maman et à moi, quand l’heure de sa partie de Kirby et le monde oublié, sorti il y a peu sur Nintendo Switch, est arrivée !
Un grand merci à Monsieur Geoffray Brunaux pour cette interview
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