Maître Laetitia SARTHOU-MOUTENGOU, avocate dont le cabinet est reconnu parmi les meilleurs par Le Point depuis plusieurs années, dévoile dans cette interview les clés de son excellence, basées sur une relation de confiance et de transparence avec ses clients, ainsi que l’intégration de la psychologie dans ses pratiques juridiques. Elle aborde également les défis contemporains du droit, notamment l’impact des réseaux sociaux et des plateformes numériques sur les litiges familiaux, la nécessité d’adapter la législation aux évolutions technologiques, et l’importance des modes alternatifs de résolution des conflits. Enfin, Maître SARTHOU-MOUTENGOU partage sa vision sur l’avenir de la profession, soulignant la formation continue en psychologie pour les avocats et juges, et la lutte incessante contre les violences intrafamiliales.
1. Votre cabinet a été nommé parmi les meilleurs cabinets de droit de la famille par Le Point pendant plusieurs années. Quelles sont les clés de votre succès dans ce domaine ?
Je cherche avant tout à établir une relation de confiance avec ma clientèle que j’écoute, à qui je réponds en toute franchise et auprès de qui je vulgarise le droit pour le rendre accessible et compréhensible. Je me rends disponible et rends compte de l’avancement du dossier. Ainsi, grâce à ce travail de concertation, je suis en mesure de présenter aux juges un dossier sérieux et solide juridiquement (tenant compte des dernières actualités législatives et jurisprudentielles). J’accorde également une place importante à la psychologie qui, à mon sens, est indissociable du droit de la famille.
2. Comment intégrez-vous les aspects psychologiques dans vos consultations et représentations en droit de la famille ?
En premier lieu, l’écoute est fondamentale pour offrir aux justiciables une solution sur-mesure répondant à leurs besoins. Le droit de la famille traite avant tout de l’humain et donc de sa psychologie. En notre qualité d’avocat.e.s, il est fondamental de porter la parole de notre clientèle auprès des juges. A mon sens, nous ne pouvons plus vraiment compter sur les plaidoiries qui sont souvent chronométrées, voire supprimées, au profit du système de questions-réponses (ce qui est une aberration surtout lorsque le juge n’a pas pris connaissance au préalable du dossier). Aussi, le seul véritable moyen dont nous disposons reste nos écritures. Par ailleurs, je mentionne, lorsque cela me paraît indispensable, des notions psychologiques dans mes dossiers telles que la figure d’attachement principal. La majorité des juges sont cependant encore réfractaires à recourir à de telles notions. J’espère que cela se développera à l’avenir.
3. Avez-vous observé des changements significatifs dans les litiges familiaux en raison de l’utilisation des réseaux sociaux et autres plateformes numériques ?
Je constate malheureusement que certains parents publient des photos de leurs enfants sans solliciter au préalable l’accord de l’autre parent. Ce sont souvent ces mêmes personnes qui refusent de supprimer ces posts après connaissance du refus de l’autre parent. J’ai le sentiment qu’il s’agit pour ces individus de se présenter publiquement comme un parent exemplaire alors que dans la réalité, les enfants subissent parfois des violences en privé. L’image publique peut sembler plus importante pour ces personnes que le bien-être de leurs propres enfants, ce qui est regrettable. Heureusement, la loi du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants a été promulguée afin de protéger aussi cet aspect de la vie privée des enfants. Ainsi, le juge peut désormais, en cas de désaccord parental sur l’exercice du droit à l’image de l’enfant, interdire à l’un des parents de diffuser tout contenu relatif à l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent. Sur un autre plan, nous sommes de nombreux avocat.e.s à dénoncer les plateformes Internet qui proposent des services d’avocats à très bas coûts. La qualité n’est souvent pas au rendez-vous, outre l’absence totale de personnalisation du dossier et d’échange réel avec la clientèle. D’ailleurs, une convention de divorce par consentement mutuel a été annulée par le tribunal judiciaire de Versailles le 30 avril 2024 en raison du manquement par l’avocat de l’épouse à ses obligations (il n’était pas présent au rendez-vous de signature de la convention de divorce). De même, certains sites Internet tentent d’offrir des services relevant de la compétence des avocats sans pour autant être soumis aux mêmes obligations déontologiques, ce qui est particulièrement dangereux. Je conseille de privilégier la qualité et le sérieux de la prestation plutôt que l’attractivité d’une offre à bas coût.
4. Pensez-vous que la législation actuelle est suffisante pour couvrir les aspects numériques dans le droit de la famille, ou y a-t-il des lacunes à combler ?
Nous sommes à une époque où la loi doit s’adapter à l’évolution fulgurante du numérique. A mon sens, ce serait une erreur de rejeter cette évolution technologique, qui apporte des avancées positives sur certains aspects. Cependant, il convient d’apporter toutes garanties aux principes mêmes de notre justice, à savoir l’indépendance, la neutralité, l’impartialité et la transparence, afin que des décisions personnalisées soient rendues en fonction des spécificités de chaque dossier. L’utilisation des algorithmes prédictifs, s’appuyant sur un accès de plus en plus ouvert et étendu aux bases de jurisprudence, peut significativement améliorer l’efficacité, la qualité et la rapidité de la justice. Cela participera à une harmonisation des décisions rendues, les juges connaîtront mieux les pratiques de leurs collègues et les justiciables pourront évaluer leurs chances de succès et recourir plus facilement, le cas échéant, aux modes alternatifs de règlement des litiges. Pour autant, les avocat.e.s et juges doivent conserver à tout prix leur capacité d’analyse, de maîtrise de la règle juridique, de personnalisation des dossiers et la possibilité de tenter d’opérer des revirements de jurisprudence (sans craindre de ne pas se ranger à l’opinion majoritaire). On appréhende ici les limites à l’utilisation de l’intelligence artificielle sur ces derniers points. Les juges et avocat.e.s doivent donc continuer à se poser les bonnes questions de droit, à maîtriser la hiérarchie des normes, savoir interpréter le résultat donné par l’algorithme et décider des conséquences à en tirer. Au surplus, il convient d’utiliser l’IA de manière prudente. Je ne peux m’empêcher de penser à cet avocat américain qui avait cité des décisions de justice, qui n’existaient pas. Il avait utilisé ChatGPT et s’était contenté de demander si les décisions obtenues étaient réelles, ce qui n’était pas le cas. Il est essentiel de s’assurer de ses sources juridiques. L’intelligence artificielle ne peut ainsi se substituer à l’intelligence humaine.
S’agissant de notre législation, l’article 10 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés interdit en principe de se fonder sur des traitements automatisés pour établir le profil d’une personne et rendre une décision. Les juges peuvent néanmoins recourir aux traitements automatisés d’information sous réserve que leurs décisions de justice ne soient pas fondées sur ce seul élément. Ils doivent disposer d’autres éléments d’appréciation pour éclairer leur réflexion. C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat aux termes de sa décision du 4 février 2004 Caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde n°240023. Les algorithmes IA ne sont pas non plus une source tout à fait neutre puisqu’ils comportent en eux les biais et préjugés sociaux contenus dans les bases de données qui les alimentent. Le Conseil National des Barreaux accompagne les avocat.e.s dans cette transformation de la profession au numérique grâce aux actions menées par le groupe de travail « Intelligence artificielle ». S’agissant du droit de la famille, on s’oriente petit à petit vers une justice prédictive en élaborant des outils qui restent indicatifs, le juge conservant son pouvoir d’appréciation. Ainsi, la table de référence en matière de contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant a été transmis aux magistrats par une circulaire du Garde des Sceaux du 12 avril 2010. Cet outil prend en compte les ressources du parent débiteur ainsi que le temps de résidence chez ce même parent. A cela, il convient de présenter aux juges le montant des dépenses relatives aux besoins des enfants. L’objectif de cet outil est d’assurer plus de transparence et de prévisibilité des débats judiciaires et à garantir, in fine, une meilleure sécurité juridique.
La même question de l’élaboration d’une méthode de calcul se pose depuis plusieurs années concernant la prestation compensatoire. La loi fixe des critères légaux non limitatifs pour déterminer le montant de prestation compensatoire sans pour autant proposer de méthode de calcul spécifique. Ainsi, des méthodes de calcul ont été créées de manière empirique par des magistrats, des notaires, des avocat.e.s. Or, les juges fixent judiciairement le montant de prestation compensatoire sans dévoiler de quelle manière ils l’ont calculée, ce qui questionne légitimement les justiciables. Par ailleurs, en matière liquidative, il existe désormais des solutions en ligne pour accompagner les avocats dans l’élaboration de liquidations de régime matrimonial et ainsi gagner en efficacité et rapidité. D’un point de vue pratique, ces réflexions sur le numérique en droit de la famille de grande ampleur ne doivent cependant pas masquer des réformes nécessaires au plan national et ce, afin de faciliter le travail de l’avocat.e. A titre d’exemple, l’avocat.e doit encore se déplacer pour prendre connaissance du compte-rendu d’audition d’un mineur lorsque celui-ci est entendu par le Juge aux Affaires Familiales de Paris alors que ce document est communiqué spontanément par informatique par la Cour d’appel de Paris. Il est rappelé que l’avocat.e n’a pas le droit de communiquer ce compte-rendu au justiciable.
Il serait plus que temps de se mettre à la page et de communiquer d’emblée ce document à l’avocat sans lui imposer de prendre un rendez-vous auprès du greffe, puis de se déplacer alors qu’il/elle doit formuler ses observations dans un délai souvent très court. Cela peut mettre en difficulté l’avocat.e exerçant à titre individuel alors que les cabinets de plus grande taille n’en souffriront pas nécessairement. De même, je pense que le recours à la visioconférence devrait plus se développer. A mon sens, le droit de la famille doit encore s’améliorer sur le plan numérique.
5. Quel est votre avis sur l’efficacité de la médiation en ligne pour résoudre les conflits familiaux ?
Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) se développent et constituent un chantier majeur de notre justice à l’heure où les magistrat.e.s prononcent des décisions en disposant de moyens extrêmement limités. Cela peut aboutir à la multiplication d’erreurs matérielles et de fond pour in fine rendre une justice de moins bonne qualité.
Des plateformes dématérialisées ont donc été crées pour résoudre de façon amiable des litiges notamment par le barreau de Paris portant sur la médiation et la procédure participative de mise en état, mais aussi par le centre de justice amiable des avocats du barreau de Lyon, le réseau des huissiers et d’avocats Eurojuris, la chambre nationale des commissaires de justice, etc. Des plateformes sont également proposées par des sociétés privées ainsi que par la commission européenne. La médiation en ligne permet plus facilement de réunir des personnes habitant loin l’une de l’autre et/ou dont la condition physique ne permet pas de se déplacer. Cette proposition a l’avantage d’être souple sur l’organisation des rendez-vous et de concilier le tout avec les contraintes professionnelles et personnelles de chacun. Tout est, selon moi, une question de cadre posé d’emblée et en accord avec les personnes s’investissant dans ce processus.
6. Quels sont les principaux défis auxquels les avocats en droit de la famille devront faire face dans les prochaines années ?
Les avocat.e.s en droit de la famille se sont déjà saisis des défis qui se posent à l’heure actuelle et qui s’amplifieront dans les prochaines années, à savoir le développement du recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, et surtout l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle. Comme indiqué précédemment, nos instances ordinales travaillent d’arrache-pied sur ces sujets afin de nous accompagner dans cette évolution tout en préservant les principes régissant notre profession.
Il reste deux défis majeurs chers à mon cœur. Le premier est celui de nous former – juges et avocat.e.s – en psychologie (sans cependant se substituer aux psychologues et psychiatres) et ne plus avoir peur de recourir à de telles notions dans les décisions de justice ou les accords conclus. Le second est de lutter encore à ce jour de manière efficace contre les violences intrafamiliales.
Je constate qu’il reste encore difficile en 2024 de protéger une personne victime de violences au sein d’un couple (certains juges considèrent que seules les violences physiques peuvent donner lieu à protection alors qu’une telle position s’inscrit en contradiction manifeste avec les consignes données par la Direction des Affaires Civiles et du Sceau).
Par ailleurs, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Metz le 18 avril 2024 a provoqué une incompréhension de la majorité des professionnels de justice. Un policier condamné en 1ère instance pour des faits de violences intrafamiliales a été relaxé en appel prétexte pris qu’il disposerait, en sa qualité de parent, d’un « droit de correction ». Fort heureusement, l’affaire est pendante auprès de la Cour de cassation. Gageons qu’elle rappellera l’application stricte de la loi n°2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, qu’elles soient psychologiques ou physiques.
Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Laetitia SARTHOU-MOUTENGOU pour sa disponibilité et la richesse des éclairages qu’elle a bien voulu partager avec moi et les lecteurs de LexWeb sur sa vision et son expertise sur les enjeux actuels du droit de la famille.
Vincent Gorlier
LW