L’accès au juge, le respect des droits de la défense mais également le respect de l’égalité des armes passent nécessairement aujourd’hui par le biais des nouvelles technologies. J’ai la chance aujourd’hui d’accueillir sur LexWeb Sophie Sontag Koenig, lauréate du prestigieux prix Vendôme, qui, à l’occasion de la publication de sa thèse intitulée « Technologies de l’information et de la communication et la défense pénale », a eu la gentillesse et m’a fait l’honneur de nous parler de ces enjeux d’actualité.
1/ Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Je me suis progressivement spécialisée en droit pénal après deux années de classes préparatoires à l’École normale supérieure de Cachan, en section D1 (droit économie gestion). J’ai découvert le droit pénal à la Sorbonne et ai ensuite approfondi les sciences criminelles au sein de l’Institut de sciences criminelles de Poitiers. Je me suis engagée en thèse en parallèle d’un début professionnel comme avocat, obtenant le CAPA à l’issue du master 2. Après une expérience professionnelle au sein du Barreau de Paris, j’ai travaillé au sein du bureau d’évaluation des politiques pénales de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice. Depuis 2012, j’ai décidé de m’investir dans l’enseignement supérieur, je n’exerce donc plus comme avocat. J’assume aujourd’hui les fonctions d’attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’université de Paris XIII où je dispense des enseignements en cours magistraux et travaux dirigés. Je poursuis mes travaux de recherche puisque j’ai également rejoint l’Institut des hautes études sur la Justice en septembre 2015 où je travaille en tant que chargée de mission pour le programme Politiques de justice.
2/ Vous êtes lauréate du prestigieux prix Vendôme. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Il s’agit d’un prix décerné par la Mission de recherche Droit et Justice et la Direction des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice et qui distingue une thèse de droit pénal, de procédure pénale ou de sciences criminelles, portant sur un sujet intéressant particulièrement le ministère de la Justice. Ma thèse, « Technologies de l’information et de la communication et défense pénale », a été récompensée par le prix Vendôme 2014.
3/ Quelle est l’idée-force de votre thèse ?
L’étude de cette question s’inscrit dans une démarche amorcée en 2009 par une réflexion menée sur « la dématérialisation des procédures pénales », qui m’avait alors conduite à envisager l’analyse des technologies de numérisation et de communication électronique. Ce sujet était alors le reflet d’une préoccupation grandissante du ministère de la Justice se donnant pour objectif d’introduire les technologies de l’information et de la communication dans la sphère judiciaire et d’en exploiter les bénéfices espérés pour permettre de répondre à certaines critiques dont la Justice faisait l’objet. Confrontés à des impératifs de rationalisation des dépenses publiques et engagés dans des promesses politiques visant notamment à l’amélioration du traitement des procédures judiciaires, l’idée naît donc progressivement qu’une solution serait de tendre vers un management judiciaire, une culture de l’évaluation de la Justice qui permettrait une meilleure administration de cette dernière. Mais on comprend en filigrane dans les discours des gardes des Sceaux qui se sont succédé entre 2005 et 2009 que cet objectif premier devait également contribuer à l’amélioration des « droits de la défense ».
En effet, concrètement, les impératifs relatifs à la qualité de l’administration de la justice ont pu être dégagés des règles procédurales énoncées à l’article 6 de la Convention européenne consacrant le droit à un procès équitable. Parmi eux, le droit d’accès au juge, celui de bénéficier de l’assistance d’un avocat, le droit à faire entendre sa cause à armes égales et dans le respect du principe du contradictoire, dans un délai raisonnable. Au-delà, se dessine également une seconde acception des droits de la défense, vers laquelle j’effectue un glissement. Puisque conjointement aux préoccupations économiques, l’intérêt du justiciable est initialement supposé être à l’origine des réformes entreprises, les droits de la défense peuvent, plus globalement, être entendus comme le droit à une bonne défense et donc nécessairement étudiés sous l’angle de l’intervention de l’avocat qui en devient le garant. L’avocat incarne donc, par son action, les droits de la défense.
4/ Concrètement, quelles sont les technologies dont vous parlez dans votre thèse ?
On peut concrètement les définir comme l’ensemble des ressources et outils nécessaires pour traiter l’information, la stocker, la gérer, la convertir, puis la transmettre pour la communiquer et, enfin, la conserver pour la retrouver ultérieurement. Ces technologies sont protéiformes. Elles concernent tant le traitement de la source d’informations, c’est-à-dire de l’écrit, de l’image ou du son, que l’échange de ces contenus. L’imprégnation de la technique s’est effectuée par vagues successives depuis une dizaine d’années et elle s’observe à chaque phase de la procédure, de l’enquête à l’exécution des peines. Elles interviennent au soutien de la décision judiciaire, les dossiers étant de plus en plus numérisés dès le début des procédures, elles jouent un rôle plus au cœur de la procédure, en permettant de relayer et d’assurer la traçabilité de certaines informations grâce notamment à la communication électronique et la visioconférence. Enfin, elles interviennent également comme mode de preuve de l’infraction.
5/ En quoi ces techniques ont-elles une incidence sur le procès pénal et le rôle des avocats ?
Le développement de ces technologies, de plus en plus diverses et au potentiel accru d’un point de vue strictement technique, a une conséquence sur l’essence même du procès pénal et sur le rituel judiciaire inhérent à l’acte de juger. Il s’agit ici d’une approche plus sociologique du procès, de son organisation et du rôle des acteurs judiciaires y prenant place. Cette évolution du contexte et de l’environnement général du procès pénal a des répercussions sur l’ensemble des intervenants à la procédure et notamment sur l’exercice de la fonction de juger.
Concernant l’avocat, des transformations s’observent dans sa pratique. Cela implique tout d’abord une adaptation juridique de la déontologie à laquelle la profession est soumise. Par ailleurs, sur un autre plan, l’avocat pourrait également tirer profit de ces nouveautés procédurales d’un point de vue stratégique. En effet, les dispositifs mis en place ou tout au moins prévus par les textes présentent encore de nombreux dysfonctionnements dont l’existence peut nourrir les réflexions de la défense. Il existe des « failles » dans la réglementation de ces TIC, dans leur application. L’idée est donc d’exploiter ces lacunes, d’inciter les avocats à soulever ces problèmes, par le dépôt de mémoires, de conclusions, ou tout simplement dans leurs plaidoiries pour rétablir, en retour, le respect des droits de la défense. Le rôle de l’avocat est ici fondamental ; il lui appartient, en se saisissant de ces vides juridiques, de ces failles procédurales, de contribuer à améliorer la sécurisation des dispositifs, en discutant et en attirant les regards sur ces difficultés.
6/ Il s’agit donc d’un sujet novateur ; comment avez-vous fait pour tenir à jour ces informations ?
Ce travail a été réalisé grâce aux discussions régulières avec une cinquantaine de professionnels exerçant tous à des étapes différentes de la procédure pénale, en gendarmerie, palais de justice, en centre pénitentiaire, mais aussi un grand nombre d’amis et confrères avocats. Leurs témoignages (leurs confidences parfois) ont été révélateurs de l’importance des enjeux des réformes menées, non plus seulement sur des aspects de simple rationalisation et de management de l’institution judiciaire, mais sur leur façon d’exercer leur profession et de se positionner dans la mission qui leur est impartie au sein de la chaîne pénale. Le suivi quotidien et indispensable de l’actualité sur ce sujet m’a également permis d’actualiser mes travaux jusqu’à la publication de ma thèse.
7/ À ce propos, où peut-on trouver votre ouvrage désormais ?
Il est édité aux éditions Mare & Martin, dans la collection Bibliothèque des Thèses.
Merci Sophie Sontag Koenig pour cette interview
LW
Merci beaucoup pour son interview, je ne la connaissais pas mais je partage sa vision des choses sur l’information.
C’est un parcours que je ne connaissais pas du tout. En ce moment, on retrouve de nouveaux professionnels dans de domaines beaucoup plus spécifiques. Et c’est une bonne chose, parce que cela assure la maîtrise de chaque prestataire.